Ce que je pense est qu’il existe dans la vie professionnelle des fonctions pour lesquelles la tricherie n’est ni tolérable, ni acceptable. Des fonctions qui exigent un dépassement de soi-même. Des fonctions qui requièrent un niveau d’intégrité élevé. Telle est la fonction d’un parlementaire. Elu, il bénéficie de la confiance de la population qui l’a choisi. Celle-ci le délègue auprès d’une de prestigieuses institutions politiques du pays, à savoir le Parlement. Ça peut être l’Assemblée nationale ou le Sénat. C’est au sein de ces institutions que les lois et le budget du pays sont débattus et approuvés avant d’être promulgués. L’un des députés est choisi par ses pairs et devient président de l’Assemblée nationale. L’un des sénateurs est élu par ses pairs et devient Président du Sénat. Ce dernier dirige la Chambre haute, dite la chambre de sages. Le lieu où l’on devrait trouver des personnes bénéficiant d’une grande expérience dans la vie privée et professionnelle. Des personnes ayant compris l’essence et le sens de la vie sur terre. L’une des missions du Président de cette Chambre est de protéger ses pairs sénateurs conformément au Règlement intérieur de cette dernière. Faire le contraire serait manquer à ses obligations. Il en est de même du Procureur général près la Cour constitutionnelle. C’est le plus haut magistrat de la hiérarchie judiciaire du pays. Conformément à la Constitution, il a la responsabilité d’initier des poursuites judiciaires contre le Président de la République et le Premier ministre en fonction. En principe, c’est un magistrat de carrière, c’est-à-dire quelqu’un qui a gravi tous les échelons de l’administration judiciaire. De ce fait, il doit être d’une compétence éprouvée pour avoir traité une multitude de dossiers pendant une vingtaine d’années. De par sa formation de juriste, et sa longue expérience de magistrat, il est censé ne pas se tromper dans l’interprétation de la loi ou dans la compréhension des
Faits, même complexes. L’on ne peut non plus imaginer qu’il concocte des dossiers judicaires contre un prévenu, ce qui serait la négation de l’essence du droit qu’il applique. La population lui fait alors totalement confiance.
Ce que je pense est que le Président du Sénat et le Procureur général près la Cour constitutionnelle de la RDC ont manqué gravement aux exigences éthiques et professionnelles de leurs fonctions. Le Président du Sénat, au lieu de protéger son collègue sénateur Matata, s’est investi à tout prix à le livrer à la justice. L’objectif étant de le condamner pour le rendre inéligible à la prochaine élection présidentielle. En mai 2021, il s’est activé pour que le Réquisitoire du Procureur général demandant les poursuites judiciaires contre son collègue soit accepté par le sénat, alors que la procédure menée était non conforme à la Constitution. Il s’est personnellement battu pour que la plénière du sénat accepte le réquisitoire et le renvoie pour examen à une commission ad hoc. Il a téléguidé cette dernière pour qu’elle recommande la levée des immunités de son collègue. Lorsque le rapport de cette dernière a été présenté en plénière, il a sensibilisé les sénateurs pour qu’ils valident la proposition de la commission. Mais, la majorité des sénateurs, face à l’évidence et la vérité, ont objecté. Après le refus de la plénière, le président du sénat ne s’est pas fatigué. Un dossier fictif de détournement des fonds publics sur l’indemnisation des biens zaïrianisés a été monté dans la précipitation contre le sénateur. Pour bien opérer, le président du sénat a illégalement renvoyé les sénateurs en congé alors qu’ils étaient en session extraordinaire ; l’objectif étant de contourner la plénière du sénat et d’obtenir de manière cavalière la levée des immunités de son collègue par le bureau du sénat totalement soumis à son autorité.
Alors qu’il n’y avait aucune urgence qui l’exigeait. En violation flagrante de la Constitution et du Règlement intérieur de la chambre, les immunités du collègue visé ont été levées de manière rocambolesque. En dépit de cet acharnement hors pair, il s’est bien défendu auprès du parquet général près la Cour constitutionnelle et le Procureur général a été contraint de clôturer le dossier administrativement par un Procès-Verbal dûment signé entre le sénateur et le magistrat instructeur. Le haut magistrat a demandé pardon et présenté des excuses au prévenu pour avoir initié contre lui des poursuites sur un dossier vide. Mais, le Président du sénat n’a pas lâché prise. Décidé à éliminer de la course présidentielle son collègue sénateur, quel qu’en soit le prix, il a coalisé, comme toujours, avec le même Procureur général pour relancer, dans l’illégalité totale, le dossier Bukangalonzo pour lequel le sénat s’était définitivement prononcé par un vote contre en plénière il y a deux ans : « aucune poursuite ne peut être autorisée sur ce dossier ». Du point de vue stratégique, il a demandé à son partenaire-complice, le Procureur général, de n’envoyer la requête que le lendemain de la clôture de la session parlementaire, soit le 16 juin, ce qui a été fait. Y faisant suite, le Président du sénat a autorisé en urgence les poursuites soutenant que la levée des immunités de son collègue sur le dossier « Biens zaïrianisés » pouvait s’étendre sur le dossier Bukangalonzo, pourtant clos. L’extension de la levée des immunités parlementaires d’un dossier à un autre n’est conforme ni à la théorie ou doctrine du droit, ni à la Constitution du pays.
Ce que je pense que le comportement du Président du sénat et du Procureur général près la Cour constitutionnelle démontrent à suffisance l’importance de la dimension éthique et morale dans l’exercice de hautes charges publiques. Comment un Président du sénat, qualifié de « Honorable » peut-il se permettre de violer volontairement la Constitution et le Règlement intérieur du Sénat sans être interpellé et déchu ? Comment un Président du Sénat peut-il se permettre de comploter activement et grossièrement contre son collègue sénateur et attendre de celui-ci l’acceptation et l’application de ses décisions ? Comment peut-on préserver la crédibilité ou l’efficacité d’une institution aussi prestigieuse comme le sénat en posant, en tant que Président de cette institution, des actes de tricherie et de ruse évidents ? La situation devient dramatique lorsque le complot du Président du sénat se fait en complicité avec un haut magistrat, en occurrence le Procureur général près la Cour constitutionnelle. Comment ce dernier peut-il demander au Bureau du Sénat la levée des immunités d’un sénateur pour lesquelles la plénière de cette institution s’était déjà prononcée contre ? C’est de la tricherie ! Comment le même Procureur général peut-il vouloir réinitialiser un dossier judiciaire pour lequel la Cour constitutionnelle a déjà prononcé un arrêt qui n’est susceptible d’aucun recours et dont l’exécution est immédiate ? C’est inimaginable ! Comment un Procureur général peut- il s’acharner pendant plus de deux ans contre un seul justiciable pour lequel aucune preuve de détournement des fonds n’a été établie ? Comment le Procureur général peut-il s’abstenir, pendant ce temps, d’initier de poursuites judiciaires contre de personnes pour lesquelles les faits avérés de détournement des fonds ont été établis publiquement et dont certains n’ont même pas d’immunités ? Comment enfin le Procureur général peut-il se permettre de coaliser avec le Président du sénat contre un justiciable en violation flagrante du principe sacro-saint de séparation des pouvoirs entre différentes institutions ? La réponse est claire : les deux hauts responsables ont rangé le droit de côté. D’autres pratiques non conformes au droit, comme la tricherie et la ruse, sont utilisées pour abattre politiquement un candidat président de l’opposition au profit de celui au pouvoir qu’ils soutiennent fortement. Y arriver ont-ils ? Wait and see.
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