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Matata Ponyo Mapon

Ce que je pense

Les démons de la dictature sont-ils de retour?

Ce que je pense est que le pouvoir politique actuel continue de violer systématiquement les droits d’expression et de liberté des citoyens pourtant garantis par la Constitution de la République, notamment en son article 26. Ce samedi 20 mai, la police nationale s’est imposée sur l’avenue Kianza dans la commune de Ngaba pour interdire la marche de l’opposition pourtant annoncée depuis plus de trois semaines. C’est le 27 avril qu’une lettre a été envoyée au gouverneur de la ville de Kinshasa pour l’informer de la marche que les quatre grands leaders de l’opposition (Moise Katumbi, Martin Fayulu, Delly Sesanga et moi-même) se proposaient d’organiser pour manifester contre la vie chère, la misère du peuple, l’insécurité dans le pays et le processus électoral chaotique en vue de l’organisation des élections législatives et présidentielle prévues en décembre 2023. Conformément à la loi, la tenue d’une telle marche procède d’un régime informatif ; c’est-à-dire que ceux qui l’organisent ne sont pas astreints à une autorisation préalable des autorités administratives ou politiques. Il appartient plutôt à ces dernières, une fois saisies, de prendre de dispositions qui s’imposent pour garantir la sécurité de manifestants et de lieux environnants. Ces dispositions avaient été conçues et cristallisées par la Loi principalement pour mettre fin aux anciennes pratiques attribuant le pouvoir à une autorité politique d’accepter ou de refuser l’organisation d’une marche par des citoyens. Curieusement, le gouverneur de la ville, saisie à ce sujet, a refusé de laisser la marche s’organiser à la date du samedi 13 mai telle que proposée par les organisateurs, invoquant des raisons de sécurité non évidentes. Il a suggéré que la marche se tienne plutôt le jeudi 18 mai. En outre, il a refusé que celle-ci se déroule sur l’itinéraire principal proposé par les organisateurs, renvoyant ces derniers sur une route d’intérêts secondaire traversant des quartiers moins populeux ; La stratégie sous-jacente étant de perturber l’organisation de la marche et d’empêcher un afflux massif de manifestants. Par ailleurs, le gouverneur, en intelligence avec le parti au pouvoir, a programmé une marche sur un itinéraire croisant celui sollicité par l’opposition. Pour déjouer cette stratégie, les quatre leaders de l’opposition ont repoussé leur marche au samedi 20 mai et l’ont maintenue, contre le gré du gouverneur, sur l’itinéraire principal. Malheureusement, la police s’est invitée pour étouffer la marche.

Ce que je pense est que la manière dont la marche a été réprimée par les forces de l’ordre est disproportionnée et inacceptable. Les leaders de l’opposition ont été bousculés de manière barbare ; Un véhicule de la police s’est enfoncé dans la foule pour se frayer un chemin au risque d’écraser les manifestants, y compris les quatre leaders ; Des balles réelles ont été tirées avec un impact direct sur les véhicules de certains leaders. Les bombes lacrymogènes ont été lancées entrainant des blessures parfois graves sur plusieurs manifestants ; des coups ont été administrés sur des paisibles citoyens, parmi lesquels un mineur molesté copieusement ; Deux députés, l’un national et l’autre provincial, ont été malmenés comme de vulgaires citoyens. Il s’en est suivi pendant près d’une heure des échanges vigoureux entre la police et les quatre grands leaders. Pour ces derniers, la marche devait absolument avoir lieu ; pour les policiers, il n’en était pas question. Alors que les grands leaders étaient bloqués et malmenés, une autre marche du parti au pouvoir se déroulait aisément sur l’avenue de l’université au grand dam de manifestants de l’opposition. Comment le gouverneur de la ville pouvait autoriser le parti au pouvoir à organiser le même jour une marche sur un itinéraire croisant celui de l’opposition ? Moins d’une semaine après, le 25 mai, la réaction du pouvoir n’a pas changé lorsque les quatre leaders susnommés, avec leurs manifestants, ont voulu faire le sit-in devant les bureaux de la Commission électorale indépendante (CENI). Ils ont été violemment dispersés par la police blessant ainsi plusieurs manifestants et un de leaders de l’opposition. Par ailleurs, et dans le même chapitre de restriction de liberté et de mouvements, Moise Katumbi, candidat à l’élection présidentielle de décembre 2023, a été interdit de se rendre le lundi 22 mai dans la province du Kongo central pour des activités politiques. Moi-même, j’ai été interdit par le gouverneur de province d’organiser une conférence le 26 mai dans la ville de Kenge, chef-lieu de la province de Kwango. Le même jour, le maire de la ville de Kikwit m’a demandé de ne pas entrer dans cette ville, chef-lieu de la province du Kwilu. Conformément à la Constitution, j’ai refusé d’appliquer une instruction manifestement illégale. Je suis donc rentré dans la ville de Kikwit le même jour. Ce qui n’a pas empêché le maire d’interdire la rencontre que je devais organiser le lendemain 27 mai, avant de l’autoriser quelques heures seulement avant sa tenue.

Ce que je pense est que la dictature s’est de nouveau invitée en RDC en dépit des progrès significatifs engrangés par le régime politique précédent dans le domaine du rétablissement d’un Etat de droit. Le président de la République redevient le centre de décision unique de tout ce qui se passe dans le pays, surtout dans le domaine politique. Aucun gouverneur de province, maire de la ville ou administrateur du territoire ne peut prendre une décision relevant de sa compétence sans l’autorisation préalable du Président de la République, de son délégué ou représentant. Même situation dans les institutions judiciaires, censées être indépendantes, où les décisions prises par les juges doivent rester conformes à la volonté du Chef de l’Etat et aux membres de son régime. Mêmes les juges présidents des Cours constitutionnelle et de cassation obéissent aux ordres du Chef de l’Etat, en dépit du principe sacro-saint de la séparation de pouvoirs. Qui l’eût cru dans un pays où le pouvoir politique prétend rétablir un Etat de droit ? Cela rappelle le régime politique tristement célèbre du Maréchal Mobutu dont la dictature avait été combattue par le principal parti de l’opposition de l’époque, actuellement au pouvoir. En effet, les pratiques dénoncées aujourd’hui par l’opposition sont les copies conformes de celles dénoncées jadis par l’UDPS. C’est pour dire que la dictature est finalement de retour. Elle a été ramenée par le même parti qui l’a combattue pendant près de 37 ans. C’est démocratiquement cruel !

Kikwit, le 28 mai 2023. 

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