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Matata Ponyo Mapon

Ce que je pense

Et si l’histoire se répétait à l’issue des élections de décembre 2023 ?

Les mêmes causes entrainant les mêmes effets.

Ce que je pense est que les acteurs politiques actuellement au pouvoir utilisent les mêmes stratégies que leurs prédécesseurs pour gagner les élections de décembre 2023 : le contournement de la Constitution, des lois et règles du pays. Au cours de la mandature passée 2012-2016 élargie à 2018, la loi électorale a été amendée pour principalement permettre au pouvoir d’obtenir la majorité au Parlement. L’opposition de l’époque, l’actuel pouvoir, avait protesté. Mais, la loi avait été approuvée par le Parlement et promulguée par le Chef de l’Etat. Les dirigeants actuels, hier opposants, font la même chose. La loi électorale a été amendée et n’a intégré que les propositions en leur faveur. Les principales propositions de l’opposition visant à sécuriser davantage le processus électoral et garantir la vérité des urnes ont été sciemment rejetées. Conséquence : frustration de l’opposition et de la population. Dans le régime politique précédant, le processus de désignation des membres de la CENI et de son président avait été ouvertement contesté par l’opposition et l’église catholique, partie prenante dans le processus. Certains membres de principaux partis de l’opposition (UDPS, MLC et UNC) avaient été débauchés pour intégrer la CENI contre le gré de leurs partis respectifs. Question pour les dirigeants politiques de l’époque de démontrer que la CENI était inclusive alors qu’il n’en était rien. Aujourd’hui, c’est la même chose : la désignation du président de cette institution citoyenne a été dénoncée par l’opposition, les églises catholique et protestante ainsi que par la société civile. Aussi, quelques membres de partis politiques de l’opposition ont été débauchés pour intégrer l’actuelle CENI. Le PPRD, parti de l’opposition, a refusé de participer au processus électoral en cours pour protester contre la violation systématique et flagrante des lois et procédures y relatives. Conséquence : frustration de l’opposition et de la population. Enfin, à l’époque du président Kabila, le processus d’enrôlement des électeurs était globalement crédible et accepté par toutes les parties prenantes. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Le processus est entaché d’innombrables irrégularités dans le but de favoriser arithmétiquement le pouvoir. Selon plusieurs experts, ce processus est chaotique. Conséquence : frustration de l’opposition et de la population. En définitive, il en résulte une crise de confiance aiguë qui éloigne le pouvoir de la population sur ce processus. Celle-ci réalise que le pouvoir veut utiliser la tricherie et la fraude massives pour gagner les élections quoi qu’il en coûte. Elle comprend que ces dernières ne seront qu’une mascarade. Alors, elle réfléchit et s’organise pour qu’on ne lui vole pas sa victoire comme cela a été le cas en décembre 2018.

Ce que je pense est que la signature le 5 avril dernier de la charte de l’Union sacrée pour la république rappelle celle intervenue en juin 2018 créant le Front Commun pour le Congo (FCC). Initiative du Président de la république de l’époque, le FCC était une plate-forme électorale avec pour mission principale de faire élire de ses rangs un Président de la république et d’obtenir une majorité parlementaire. Le FCC était constitué non seulement des partis de la majorité présidentielle, mais aussi de l’opposition républicaine et radicale. Il y avait même des membres de l’UDPS qui s’y retrouvaient. A sa création, compte tenu de son hétérogénéité idéologique, j’avais prédit son inefficacité. Selon moi, le FCC n’avait ni âme ni esprit et, de ce point de vue, ne pouvait nullement atteindre ses objectifs. Beaucoup ne m’ont pas cru et m’ont traité de politiquement inexpérimenté. Par la suite, les moyens financiers et logistiques conséquents ont été donnés au FCC pour qu’il réussisse sa mission. Les services publics ont été mis à contribution. La CENI et la Cour constitutionnelle ont été instruites à cet effet. Des actions d’intelligence ont été menées pour notamment exclure du processus électoral tous les candidats de l’opposition pouvant battre l’homme du FCC. Ce dernier était plus que sûr d’être proclamé Président de la république. En définitive, le FCC avait tout ce qu’il lui fallait, sauf la majorité de la population qui devait voter. La conséquence était sans appel. Le candidat du FCC a échoué lamentablement. C’est l’un de deux principaux candidats de l’opposition qui a été proclamé Président de la république. En outre, des dizaines des candidats députés nationaux et provinciaux du FCC, non élus, ont été proclamés vainqueurs. De ce fait, ce regroupement a obtenu la majorité parlementaire qui était en contradiction avec l’échec patent de son candidat président. Une majorité par essence fragile qui a fini par s’effondrer, deux ans après, comme un château de cartes au profit du pouvoir actuel. Le premier ministre, le président de l’assemblée nationale et le président du sénat issus du FCC ont été déchus et remplacés par des candidats de l’Union sacrée, la nouvelle majorité présidentielle. 

Ce que je pense est que, toutes choses restant égales par ailleurs, l’histoire risque cruellement de se répéter. Le tableau socio-économique et politique pré-électoral de 2023 ne semble pas être éloigné de celui de 2018. Bien plus, les indicateurs socio-économiques se sont davantage détériorés. En effet, le taux d’inflation est plus élevé qu’auparavant. Le taux de dépréciation monétaire est plus accéléré qu’en 2018. Dans une économie fortement dollarisée comme celle de la RDC, une telle érosion monétaire amenuise le pouvoir d’achat de la majeure partie de population dont le maigre portefeuille en liquidité monétaire est tenu en monnaie nationale. A ce sujet, on a vu la population, lors de la sortie officielle de la plateforme Union sacrée le 29 avril dernier, réclamer la stabilité du taux de change.  En outre, il est enregistré de retards de paiement des salaires de fonctionnaires de l’Etat, des allocations financières aux provinces, de rétrocessions de régies financières qui mobilisent les recettes publiques ; ce qui est à la base de remous sociaux et de grèves dans plusieurs secteurs de l’administration publique. Du point de vue sécuritaire, la situation est plus sombre qu’elle ne l’était en 2018. Alors que le régime politique précédent avait réussi à défaire les rebelles du M23 en novembre 2013 et à les retourner au Rwanda d’où ils étaient venus, le gouvernement actuel n’arrive pas à contenir l’expansion territoriale de cette rébellion qui a déjà causé beaucoup de morts et de dégâts socio-économiques énormes dans le Nord-Kivu. Du point de vue politique, le tableau semble être la photocopie plus ou moins conforme de celui de 2018. Car, pour l’essentiel, ce sont les mêmes acteurs et stratèges politiques du FCC qui se retrouvent dans l’Union sacrée. Les mêmes qui n’ont pas pu se faire élire députés nationaux ou provinciaux. Les mêmes qui parfois avaient honte et peur de citer le nom de leur candidat président pendant la campagne électorale. Les mêmes qui ont échoué de le faire élire. Alors, comment se feront-ils, cette fois-ci, élire députés avec une situation socio-économique et politique plus dégradée ? Comment feront-ils élire leur candidat président avec ce niveau élevé de frustration de la population et de crise de confiance sans précédent entre le pouvoir et le peuple ? En réalité, il ne reste qu’à l’opposition de bien se préparer pour battre l’Union sacrée au pouvoir à tous les niveaux des élections. L’environnement socio-politique contre le pouvoir s’y prête mieux. Comme en 2018, la CENI pourrait, face à l’échec cuisant des candidats de l’Union sacrée, se retrouver dans une situation complexe et inextricable qui ne lui permettra pas de traficoter les résultats du vote. Wait and see.

Paris, 25 avril 2023

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